Conférences et colloques

Visio-conférence internationale : “L’Afrique noire, un rêve français”

30 mars 2022

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L’Afrique noire, un rêve fran­çais, de Philippe San Marco

Soixante ans après l’indépendance de nos colo­nies afri­caines, l’histoire de celles-ci nous revient en forme de boo­me­rang accu­sa­teur. Non seule­ment la France devrait s’excuser de ce qu’elle y a fait dans le pas­sé, mais elle devrait aujourd’hui ces­ser de « piller » ces pays au sein des­quels elle pour­sui­vrait une poli­tique néo­co­lo­niale. Des pays dont le sous-développement per­sis­tant, la misère épou­van­table et la cor­rup­tion endé­mique ne seraient que des consé­quences de l’ancienne colo­ni­sa­tion. Nous avons là un rai­son­ne­ment en boucle, comme fer­mé sur lui-même, qui n’offrirait aucune aspé­ri­té à la cri­tique. S’il ne s’agissait que d’un débat aca­dé­mique, ce serait inté­res­sant et sans dan­ger. Assénée comme une évi­dence par des mili­tants très pré­sents par­mi les uni­ver­si­taires et reprise qua­si quo­ti­dien­ne­ment par des médias com­plai­sants, cette idée trouve un écho par­ti­cu­lier chez les jeunes issus des diverses migra­tions afri­caines qui n’ont jamais ces­sé depuis les indé­pen­dances cen­sées pour­tant rompre le lien avec l’ancienne métro­pole. Au point de les faire dou­ter de leur ave­nir de citoyens d’un pays qui se carac­té­ri­se­rait par son « racisme sys­té­mique ». Cela favo­rise chez eux des atti­tudes de repli sous des formes diverses et l’émergence de reven­di­ca­tions iden­ti­taires mino­ri­taires. L’assimilation et l’intégration des gens d’origine étran­gère étant désor­mais reje­tées comme autant d’outils d’aliénation, nous en sommes arri­vés au « vivre ensemble », concept léni­fiant qui cor­res­pond à la reven­di­ca­tion nou­velle d’une coexis­tence paci­fique entre des gens de cultures dif­fé­rentes et qui se vau­draient toutes, mais dont la culture domi­nante, « blanche », serait d’emblée dis­qua­li­fiée du fait de son pas­sé colo­nial. Une coha­bi­ta­tion qui ne ras­sem­ble­rait plus les citoyens d’une nation, la France, mais des consom­ma­teurs d’un même « ter­ri­toire » selon le mot à la mode.

La menace est sérieuse car elle par­ti­cipe de nos han­di­caps col­lec­tifs à trou­ver notre place dans un monde en pleine muta­tion. Comment arri­ver à exis­ter si, à force de débou­lon­ner nos sta­tues au propre comme au figu­ré, nous ne savions plus qui nous sommes ? Pire, com­ment trou­ver en nous-mêmes, com­ment favo­ri­ser chez nos jeunes l’énergie des bâtis­seurs d’avenir si le pas­sé nous acca­blait, si la honte nous para­ly­sait au point que, peut-être, fina­le­ment, oui, fati­gués que nous serions, il vau­drait mieux nous faire oublier et dis­pa­raitre en tant que nation ?

Pour avan­cer il faut donc déga­ger le ter­rain. Et, entre autres choses, faire sau­ter ces blocs accu­mu­lés devant nous et que consti­tue non pas l’histoire de la colo­ni­sa­tion fran­çaise mais l’instrumentalisation de celle-ci dans le débat contem­po­rain. Pas pour la trans­for­mer en conte de fées, ni même pour en van­ter les « bien­faits ». Mais pour la remettre à l’endroit, dans son contexte, ses contra­dic­tions et ses ambi­guï­tés. Dans sa banale humanité.

Pour incar­ner cet objec­tif j’ai choi­si ici de suivre mon grand-père mater­nel, Paul Vazeilles, tout au long des quinze affec­ta­tions qui l’on conduit de 1909 à 1941 dans quatre ter­ri­toires de l’ex Afrique occi­den­tale fran­çaise qui devien­dront plus tard des Etats indé­pen­dants. Il ne s’agit pas d’un héros mais d’un per­son­nage ordi­naire, en cela très repré­sen­ta­tif, qui enta­ma à l’échelon le plus bas une car­rière de près d’un demi-siècle de fonc­tion­naire colo­nial. Pourquoi fait-il ce choix sera la pre­mière recherche. Puis cha­cune de ses affec­ta­tions per­met­tra d’aborder un sujet par­ti­cu­lier qui pren­dra ain­si sa place dans ce récit, soit parce qu’il cor­res­pond à une thé­ma­tique domi­nante de la région concer­née, soit parce que l’histoire se dérou­lant dans le temps, c’est au moment d’un séjour par­ti­cu­lier qu’un thème impo­se­ra sa prio­ri­té. C’est pour­quoi il s’agit d’un récit, pas d’une bio­gra­phie ni d’un livre d’histoire à pro­pre­ment par­ler. La seule chro­no­lo­gie res­pec­tée est celle des affec­ta­tions qui jalonnent un par­cours de vie. Le reste de l’ordonnancement est sub­jec­tif et aléa­toire. L’important est qu’à la fin le lec­teur ait le sen­ti­ment d’avoir eu une vue d’ensemble de ce que fut la colo­ni­sa­tion fran­çaise en Afrique sub­sa­ha­rienne, sans que rien n’ait été occul­té et sans tabou. Et qu’il en mesure l’héritage dans la France contemporaine.

Non pas pour s’endormir la conscience tran­quille, ras­su­ré du fait que « grand père n’était pas un nazi » selon le titre du livre de Welzer, Moller et Tschuggnall (1). Mais au contraire pour s‘armer, et d’abord de cou­rage, face aux défis qui nous assaillent et aux­quels nous serions inca­pables de faire face si nous res­tions entra­vés et comme intoxi­qués par une que­relle mémo­rielle. Dans cette pers­pec­tive, lais­ser infu­ser en cha­cun d’entre nous, et en nous col­lec­ti­ve­ment, le doute voire la haine de soi est le pré­lude de grands mal­heurs. Comme si les grandes batailles géo­po­li­tiques se sol­daient d’abord dans les têtes, le reste étant le fruit du hasard. Ainsi quand Hitler déci­da en 1936 de déployer l’armée alle­mande sur la rive gauche du Rhin que le Traité de Versailles avait démi­li­ta­ri­sée 17 ans plus tôt, la France ne réagit pas. Ni faute de moyens ni par peur. Mais parce qu’avant même la signa­ture du Traité de Versailles John Maynard Keynes, éco­no­miste membre de la délé­ga­tion bri­tan­nique, n’avait ces­sé de dénon­cer, dans un livre au suc­cès immé­diat (2), ce qu’il consi­dé­rait comme une œuvre tota­le­ment injuste à l’égard de l’Allemagne. Quelques mois plus tard les séna­teurs amé­ri­cains avaient tous son livre en tête lorsque le trai­té fut pré­sen­té à leur appro­ba­tion. Et cela fut déter­mi­nant dans leur refus de le vali­der. Or l’engagement des Etats Unis d’Amérique était un des élé­ments essen­tiels de l’équilibre du trai­té. La vic­ti­mi­sa­tion de l’Allemagne devint rapi­de­ment la norme de la pen­sée cor­recte, bien sûr en Allemagne qui n’en espé­rait pas tant, et qui de fait ne paie­ra jamais les répa­ra­tions qui lui étaient impo­sées, mais aus­si en Grande Bretagne pour­tant signa­taire du trai­té et enfin en France où cette petite musique émol­liente finit par enva­hir les consciences. Lorsque le rideau se déchi­ra, quand la mili­ta­ri­sa­tion de la Rhénanie fut déci­dée, der­nier ver­rou de sécu­ri­té avant de rendre la guerre inévi­table, les res­pon­sables et l’opinion publique fran­çais s’y étaient déjà rési­gnés dans leur tête. Oui, toutes ces exi­gences à l’égard de l’Allemagne auraient été exces­sives. Il suf­fi­rait de recon­naitre nos torts, et après tout irait bien. Il n’en fut rien et tout le reste ne fut qu’un long che­min de croix dont aucune sta­tion ne nous serait épar­gnée. Il est pos­sible d’imaginer aus­si, ce que nous enseignent les grands auteurs chi­nois, des vic­toires qui n’aient même pas besoin d’un affron­te­ment tant l’ennemi s’est préa­la­ble­ment dés­in­té­gré men­ta­le­ment. Ainsi « L’Art de la Guerre » (3) écrit par Sun Zi entre le VIe et le Ve siècle av. J.-C. explique l’art de la red­di­tion de l’ennemi sans livrer bataille.

Le débat sur le pas­sé colo­nial de la France, par­fai­te­ment légi­time en soi et jamais clos, a hélas pris cette dimen­sion mal­saine et per­verse. Consciemment ou non, il sert à affai­blir notre pays, vise à le mettre à genoux du fait de ten­sions internes alors que tant de défis nou­veaux imposent sa mobi­li­sa­tion ardente. Je fais le pari qu’on ne se débar­ras­se­ra pas de ce pas­sé en le négli­geant, ni en le niant, ni en se plai­gnant de l’ingratitude des gens issus de ces immi­gra­tions, et encore moins en les som­mant d’aimer ce pays ou de le quit­ter. Inversement on ne s’en débar­ras­se­ra pas en pen­sant avec insou­ciance et légè­re­té qu’un repen­tir mon­dain comme solde tout compte nous per­met­trait de pas­ser à autre chose. Comme si un pays était une entre­prise dont il suf­fit de dépo­ser le bilan pour effa­cer les dettes et repar­tir d’un bon pied. Car il ne s’agit pas ici d’une entre­prise mais d’une nation dont la mémoire est, bien plus que le sang et l’origine, un élé­ment consti­tu­tif et un enjeu majeur. Je fais au contraire le pari qu’assumer tota­le­ment ce pas­sé colo­nial per­met­tra seul de le remettre à sa place, der­rière nous, et qu’il faut pour cela mettre tout sur la table, ne rien cacher, sans jamais céder aux men­songes ou aux approxi­ma­tions dont la répé­ti­tion pares­seuse ne fait pas des véri­tés. Il fau­dra plus d’un livre pour résis­ter à ce vent mau­vais. Celui-ci est une pierre dans l’édifice.


Une visio-conférence inter­na­tio­nale s’é­tait dérou­lée le same­di 19 mars 2022.

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