Célestin m’avait dit qu’un prêtre burkinabé officiait aux Augustins. Venant de lui cette simple phrase avait résonné en moi comme un message dont il allait me falloir comprendre le sens.
Les Augustins, ou encore St Ferréol, étrange église à l’appellation incertaine située sur le quai des Belges, avec cette façade faux baroque à la blancheur éclatante plaquée comme un décor sur un édifice en faux gothique, l’ensemble digne d’être retenu pour un western mexicain. Séparé de la chaussée par l’étroit trottoir où depuis toujours le piéton doit se glisser entre le flux des véhicules qui remontent la rue de la République et les mendiants habituels. Pendant des années ce furent une mère et son fils, petits, malingres, vilains, mais fidèles au poste. Depuis quelque temps absents. Victimes d’une guerre d’influence entre bandes de l’est ? Remplacés par un autre mendiant. Bref, un bâtiment sans aucun recul, et la misère qui vous y accueille d’emblée.
Je crois que la seule fois où je m’étais retrouvé là c’était à l’automne 1962. J’étais interne au lycée St Charles et j’étais venu me joindre à une manifestation de pieds noirs qui voulaient célébrer l’anniversaire un événement de la toute récente guerre d’Algérie. La police avait balancé des grenades lacrymogènes et les gens répondaient en criant « coulos », insulte que je découvrais pour l’occasion. Je crois me rappeler qu’ils chantaient « c’est nous les africains… ».
Ce dimanche je décidais donc d’aller assister à l’office de 11h dont m’avait parlé Célestin. L’église était à moitié pleine. Le prêtre, un beau noir dans sa soutane blanche, 35–40 ans, parlait au micro. La sono légèrement déficiente participait à créer une ambiance décalée. La prononciation spécifique de certaines voyelles par les noirs était amplifiée et cela donnait quelque chose de très spécial : un son globalement chaleureux au sein duquel on comprenait le sens de la plupart des mots mais en passant par dessus un bon nombre d’entre eux. Ce n’était pas grave. On comprenait l’essentiel.
Dans l’assistance, un tiers de noirs, hommes et femmes de tous âges, plutôt beaux, grands et minces. Pour le reste des gens sans traits particuliers. Soit isolés, soit en petits groupes. Pour tous, des habits propres mais on sentait des gens avec de petits, tous petits, revenus. La population du centre-ville.
Le rapport au prêtre était empreint de sympathie. Lui-même parlait gentiment et simplement. Sans phrases ampoulées ni grandiloquence. Lectures de textes par des fidèles, âgés. Et des chants. Pas les plus beaux de l’antique répertoire mais corrects. Pas du genre de ceux inventés la veille par un amateur. Une jeune femme de style démodé dirigeait les chants d’une voix incroyablement aigüe, mais sans forcer. Et l’assistance de reprendre sans se faire prier. Bref, de la bonne humeur.
Je me laissais aller et baissais la garde, emporté par cette douce ambiance. Je priais facilement, les avant-bras relevés et les mains tournées vers mon visage. Comme font les musulmans. J’aime bien ce geste simple qui accompagne une posture intérieure. Qui aide à la concentration et à la prière.
En fait autour de moi il y avait sans arrêt des mouvements. Des gens se déplaçaient d’un endroit à l’autre. Sans gêner les autres. Mais cela montrait une appropriation tranquille et décontractée de l’espace. A un moment le prêtre fit référence à la mort au cours de la semaine écoulée d’un jeune sénégalais de Noailles. Les mouvements s’accélérèrent. Une sortie dans l’énervement au moment de cette évocation. Mais aussi des entrées, et des déplacements. Toujours le prêtre regardait l’assistance, comme s’il scrutait les visages, l’un après l’autre.
Juste après la lecture de l’évangile, comme une introduction à son homélie, le prêtre précisa que les prières du jour étaient aussi destinées à la mémoire de ce jeune sénégalais. Il présenta ce dernier comme un homme de paix et d’union. Il en voulait pour preuve la présence à cet office de ses amis musulmans. Je comprenais alors que certains dans l’assistance, sans doute parmi les noirs, étaient des musulmans. J’avais le coeur qui battait de cette situation. Seule cette ville pouvait m’offrir ce condensé d’humanité et elle seule pouvait ainsi rassembler les contraires apaisés.
Une femme noire d’une cinquantaine d’année s’avança pour s’asseoir dans les premiers rangs. Petite et mince, belle peau mat. Puis une très jeune femme vint à coté d’elle. Avec une immense chevelure rasta enveloppée dans un grand foulard. Ca m’amusait ce foulard cachant les cheveux de cette femme mais en même temps cette chevelure flamboyante, comme un obus de plus de 50 centimètres, était une provocation, une déclaration de beauté. Je le ressentais comme un pied de nez à l’exigence du foulard qui masque. Puis un jeune homme les rejoint, superbe athlète avec une chevelure rasta. Il embrassa les deux femmes en leur souriant.
J’ai un peu oublié le thème du prêche. Il me sembla long mais pas ennuyeux. Au moment de l’échange de poignée de main, je serrais la main de mon voisin, et sentis une main abimée, avec un doigt tordu. Un travailleur manuel. Ou simplement un « vieux ». Derrière moi en me retournant je saluais deux types aux allures de gitans. Les femmes noires des premiers rangs allèrent échanger le signe de paix bien au-delà de leurs voisins proches. Ca a pris un bon moment.
Puis vint la communion. Le prêtre dit que ceux qui étaient en état de communier pouvaient venir, et que les autres eh bien, le Bon Dieu savait le cœur de chacun et ceux-ci pouvaient donc soit rester à leur place soit venir à lui en ayant les bras croisés sur la poitrine (il montra le geste à faire) et qu’ils recevraient sa bénédiction. Bref, personne n’était exclu. C’est la première fois que je voyais cela, qui me plaisait.