J’étais un peu fatigué et je décidais de regagner mon appartement de la via Niccolo Cervello, à la Khalsa, en prenant un bus à la Stazione Centrale. Deux arrêts jusqu’à l’Orto Botanico. C’était vraiment de la fainéantise, oui. Mais il faisait chaud et j’avais déjà beaucoup marché. Et puis je n‘avais rien à faire, personne ne m’attendait et le bus était déjà là. Départ dans 10 minutes. Je m’installais donc sur un des sièges en métal, bien inconfortable, de ce bus en triste état comme on en a aucun à Marseille.
Et je rêvassais là, tranquille. A un moment je pris conscience qu’un groupe d’une demi-douzaine de jeunes gens d’une vingtaine d’année, des garçons et deux filles, s’était formé à l’extérieur du bus, juste devant la porte centrale de celui-ci. Ils parlaient entre eux en attendant le départ. Je m’apercevais alors qu’en fait, deux d’entre eux seulement se parlaient, un garçon et une fille. Les autres les entouraient comme un choeur silencieux mais attentif.
Les deux acteurs principaux déployaient les jeux du corps caractéristiques des postures amoureuses. Leur visage étaient proches l’un de l’autre mais ne se touchaient pas. Puis la fille rentra s’asseoir dans le bus derrière moi, accompagnée de l’autre fille et d’un ou deux garçons. Les autres garçons s’éloignèrent. Quelques minutes passèrent et je pensais à autre chose. Un des jeunes garçons qui accompagnait les filles vint les prévenir que l’autre groupe de garçons revenait. Il y avait de l’émotion dans sa voix. Je ne comprenais rien de ce qu’il disait mais je sentais une tension dans ses paroles. Les deux protagonistes avaient donc encore des choses à se dire, toujours sous le regard attentif des autres. De fait, la fille ressortit avec son entourage et les deux groupes se retrouvèrent à nouveau à l‘extérieur du bus, juste devant la porte, à deux mètres de moi. La conversation repris calmement entre mes deux héros. Pas un mot plus haut que l’autre. Mais on percevait une argumentation serrée entre eux. La fille ne lâchait rien. Elle semblait même légèrement dominante. Je pensais à cette mutation des jeunes siciliennes, leur rapport d’égalité avec les garçons, et je me réjouissais d’en voir la démonstration.
Soudain, je m’aperçus qu’un crachat coulait le long du visage du garçon ! Sans un mouvement particulier, sans que le débit de ses paroles ne se soit arrêté un instant, la fille lui avait craché en plein visage. Et la conversation continuait. Le crachat dégoulinait, à peine essuyé par le garçon. J’entendais la fille dire « la fête est finie », plusieurs fois.
J’étais sidéré.
En fait il s’agissait d’une dispute sourde mais très agressive. Autour de moi, personne n’avait bronché. Puis la fille revint s’asseoir derrière moi avec son petit groupe. Je l’entendais raconter calmement je ne sais quoi à sa copine.
Je ne savais plus quoi penser. Je m’étais bien trompé. Le calme apparent de la scène avait caché une terrible violence. En l’occurrence c’était la fille qui avait humilié le garçon, et même s’il l’avait probablement bien mérité je n’arrivais pas à m’en réjouir.