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Fête de la musique à Palerme

par | 1 octobre 2024 | Récits

Dimanche 21 juin 2009. Hier le centre cultu­rel fran­çais avait orga­ni­sé la fête de la musique sur sa belle ter­rasse face au châ­teau de la Ziza. Eric était à la manoeuvre et c’était magni­fique. Beaucoup de monde et un beau spec­tacle musi­cal. Et puis aujourd’hui, dimanche 21, jour offi­ciel de la fête de la musique, c’est l’Etat ita­lien qui se mani­fes­tait en orga­ni­sant avec des musi­ciens du Conservatoire Bellini une soi­rée à la Gancia, à l’Archivio di Stato di Palermo, ou, comme on dit ici, les « archives sta­tales ». Là où j’ai pas­sé tant d’heures à recher­cher les traces de Luigi. Comme il pleu­vait par inter­mit­tence, ils avaient dépla­cé le lieu du spec­tacle de la cour de l’ancien couvent sous l’auvent super­be­ment déco­ré de pein­tures. A l’endroit même où Michele Anselmi com­mence sa tra­di­tion­nelle « pas­se­gia­ta » en racon­tant le début de la saga des Tomasi di Lampedusa devant le superbe arbre généa­lo­gique qui orne le mur d’entrée. Bref, j’étais content d’être là. Ce lieu conti­nuait de me par­ler et je l’écoutais.

Les musi­ciens s’étaient ins­tal­lés juste à l’entré des bureaux. Le public nom­breux était donc ins­tal­lé devant eux, à l’abri de la pluie. Je pre­nais une chaise au fond, devant l’entrée. Et la soi­rée com­men­ça. Gershwin, Piazzolla, d’autres encore. C’était très bien et sans pré­ten­tion. Des per­sonnes arri­vées en retard s’entassaient autour de moi.

Et puis arri­va une grosse cylin­drée jusque devant l’entrée du couvent. Déjà ils m’énervaient ces gens qui viennent en voi­ture qua­si­ment dans la salle de spec­tacle. De ma place je pou­vais à deux ou trois mètres voir les occu­pants. Le conduc­teur, gros type bouf­fi et la pas­sa­gère, une rom­bière. Je pen­sais à ces por­traits ou à ces pho­to­gra­phies de cer­tains reje­tons de la noblesse sici­lienne. Ridicules, gro­tesques. Ils s’extirpèrent de l’habitacle et arri­vèrent en souf­flant jusqu’à nous, sûrs d’eux mêmes et de leur sta­tut. J’observais leur petit jeu de socié­té. Lui se débrouilla, je ne sais com­ment, à trou­ver une chaise libre et se vau­tra der­rière moi. Elle, debout à coté de moi et toute apprê­tée, cher­chait une place dis­po­nible. Son regard tom­ba sur moi. Je res­tais de marbre. C’est alors que le gros mari me tapa sur l’épaule en me mon­trant son épouse du doigt et en me disant quelque chose que je ne com­pre­nais pas mais qui signi­fiait clai­re­ment que je devais céder ma place.

La fureur d’Achille me prit sur le champ. Je me levais et lui cria dans mon ita­lien dés­in­hi­bé : « mon arrière-grand-père s’est bat­tu ici même, dans ce couvent, lors de la révolte de la Gancia en avril 1860 pour la liber­té du peuple sici­lien. Et qu’en a‑t-il reti­ré sinon une mort pré­coce ? Sa jeune femme veuve avec sept enfants condam­née à la misère dût s’exiler. Alors moi son arrière petit fils, je suis reve­nu, et jamais plus, au nom des miens, je ne lais­se­rai ma place à qui­conque. C’en est fini à tout jamais de céder notre place aux impor­tants. Et toi, tu ferais bien de le com­prendre enfin ». Le silence s’était abat­tu sur nous. J’avais dû faire plein de faute mais j’avais été très bien com­pris. Puis dou­ce­ment les musi­ciens reprirent leur mor­ceau de Piazzolla.

Je sais, Luigi, je n’aurai pas dû m’emporter. Ces minables ne méri­taient que notre mépris. Mais ca m’avait bien plût de leur jeter ton nom à la figure, ici même. Bon, l’histoire n’était pas exac­te­ment celle-là, mais quelle impor­tance. Toi et moi, on a bien ri ce soir-là.