Dimanche 21 juin 2009. Hier le centre culturel français avait organisé la fête de la musique sur sa belle terrasse face au château de la Ziza. Eric était à la manoeuvre et c’était magnifique. Beaucoup de monde et un beau spectacle musical. Et puis aujourd’hui, dimanche 21, jour officiel de la fête de la musique, c’est l’Etat italien qui se manifestait en organisant avec des musiciens du Conservatoire Bellini une soirée à la Gancia, à l’Archivio di Stato di Palermo, ou, comme on dit ici, les « archives statales ». Là où j’ai passé tant d’heures à rechercher les traces de Luigi. Comme il pleuvait par intermittence, ils avaient déplacé le lieu du spectacle de la cour de l’ancien couvent sous l’auvent superbement décoré de peintures. A l’endroit même où Michele Anselmi commence sa traditionnelle « passegiata » en racontant le début de la saga des Tomasi di Lampedusa devant le superbe arbre généalogique qui orne le mur d’entrée. Bref, j’étais content d’être là. Ce lieu continuait de me parler et je l’écoutais.
Les musiciens s’étaient installés juste à l’entré des bureaux. Le public nombreux était donc installé devant eux, à l’abri de la pluie. Je prenais une chaise au fond, devant l’entrée. Et la soirée commença. Gershwin, Piazzolla, d’autres encore. C’était très bien et sans prétention. Des personnes arrivées en retard s’entassaient autour de moi.
Et puis arriva une grosse cylindrée jusque devant l’entrée du couvent. Déjà ils m’énervaient ces gens qui viennent en voiture quasiment dans la salle de spectacle. De ma place je pouvais à deux ou trois mètres voir les occupants. Le conducteur, gros type bouffi et la passagère, une rombière. Je pensais à ces portraits ou à ces photographies de certains rejetons de la noblesse sicilienne. Ridicules, grotesques. Ils s’extirpèrent de l’habitacle et arrivèrent en soufflant jusqu’à nous, sûrs d’eux mêmes et de leur statut. J’observais leur petit jeu de société. Lui se débrouilla, je ne sais comment, à trouver une chaise libre et se vautra derrière moi. Elle, debout à coté de moi et toute apprêtée, cherchait une place disponible. Son regard tomba sur moi. Je restais de marbre. C’est alors que le gros mari me tapa sur l’épaule en me montrant son épouse du doigt et en me disant quelque chose que je ne comprenais pas mais qui signifiait clairement que je devais céder ma place.
La fureur d’Achille me prit sur le champ. Je me levais et lui cria dans mon italien désinhibé : « mon arrière-grand-père s’est battu ici même, dans ce couvent, lors de la révolte de la Gancia en avril 1860 pour la liberté du peuple sicilien. Et qu’en a‑t-il retiré sinon une mort précoce ? Sa jeune femme veuve avec sept enfants condamnée à la misère dût s’exiler. Alors moi son arrière petit fils, je suis revenu, et jamais plus, au nom des miens, je ne laisserai ma place à quiconque. C’en est fini à tout jamais de céder notre place aux importants. Et toi, tu ferais bien de le comprendre enfin ». Le silence s’était abattu sur nous. J’avais dû faire plein de faute mais j’avais été très bien compris. Puis doucement les musiciens reprirent leur morceau de Piazzolla.
Je sais, Luigi, je n’aurai pas dû m’emporter. Ces minables ne méritaient que notre mépris. Mais ca m’avait bien plût de leur jeter ton nom à la figure, ici même. Bon, l’histoire n’était pas exactement celle-là, mais quelle importance. Toi et moi, on a bien ri ce soir-là.