C’est samedi, jour d’affluence. Et c’est aussi la première fois que je viens faire mes courses, en voisin du Palazzo D’Antoni. Je me perds avec plaisir dans les rayons à découvrir les produits connus cachés sous de nouvelles marques ou des dénominations inconnues. Et puis la sortie vers les caisses. Trois seulement sont en service. Il y a donc plusieurs personnes avant moi et j’ai le temps d’observer. Après les caisses, des hommes noirs. Plutôt beaux et rieurs. Ils se parlent entre eux dans leur langue qui me renvoie à l’Afrique, mon enfance. Décontractés. L’un d’eux est un grand bonhomme avec une bonne bouille. Sur sa tête une casquette sur laquelle est écrit en gros « ITALIA » avec le drapeau tricolore italien à coté. Son t-
shirt est décoré d’une magnifique carte d’Italie avec les mêmes trois couleurs.
Ah mon frère, tu crois les amadouer ainsi les blancs ! En les prenant à revers avec leur propre nationalisme que tu leur renvoies comme un bouclier, comme un reflet, en en faisant plus qu’eux ? Pourquoi pas. Je m’amuse de ton stratagème et te souhaite bonne chance. Et puis je perçois qu’en fait ces noirs sont au bout de chaque caisse, là où arrivent les produits après que le caissier les ait enregistrés. Ils mettent chaque produit dans les petits sacs en plastic du magasin. Bon, je comprends : c’est un petit boulot. Employés par le supermarché pour aider la clientèle ? Peut être. J’ai vu ca aux Etats Unis. Ici, ca m’étonnerait. Je pense plutôt que la direction du supermarché les laisse rentrer pour exercer cette fonction, à eux de se débrouiller pour être rémunérés. De fait j’observe que les clients avant moi leur glissent une pièce dans la main d’un geste imperceptible.
Je me demande ce que je vais faire. Bien sur ils ont d’emblée ma sympathie. Je vérifie donc ma monnaie. Et puis arrive mon tour et le caissier enregistre mes achats. Mais je n’ai pas besoin de petits sacs en plastic puisque j’ai mon cabas. Voilà mon bonhomme privé de son outil de travail. Comment faire ? Et puis quand même il faut bien qu’il y ait accord, fut-il tacite, pour qu’il touche mes affaires. Mais ici en Sicile la communication tacite est une oeuvre d’art, une seconde nature. Je me mets donc dans la peau du personnage qui doit être le mien aux yeux de cet étranger. En le regardant rapidement dans les yeux, je lui tends mon cabas. Pas un mot. Il exécute sa tache. Au dernier moment je lui glisse ma pièce dans la main. M’a‑t-il remercié ? Je ne me rappelle pas. Mais en partant, alors redevenu décontracté, il me parle : « ciao ».
Salut fratello.
Peut-être te retrouverai-je à « la messe en français » de la bien nommée église dei Miracoli, juste à coté. Pour venir de ton village jusqu’ici, il en fallu des miracles.