60 ans après les indépendances, l’histoire des colonies d’Afrique nous revient comme un boomerang : la France devrait s’excuser du mal qu’elle y a fait. Martelée, l’idée trouve un écho chez les jeunes issus des migrations africaines, les faisant douter de leur avenir comme citoyens d’un pays sous l’emprise d’un “racisme systémique”. L’assimilation a fait place à une coexistence pour l’instant pacifique. Mais la menace est sérieuse. Pour avancer, il faut faire sauter les obstacles accumulés par les mésusages de l’histoire coloniale. Pas pour en faire un conte de fées, mais pour la remettre dans sa banale humanité, contradictoire et ambigüe. Assumer le passé, sans rien cacher ni céder aux mensonges, permettra seul de le remettre à sa vraie place : derrière nous. C’est le parcours d’un fonctionnaire colonial ordinaire qui nous y aide ici en permettant d’esquisser le portrait d’une Afrique que la France a rêvé sans toujours bien la comprendre, ni comprendre ce qu’elle y cherchait.
- Éditeur : Edition Gaussen (20 janvier 2022)
- Broché : 480 pages
ILS EN ONT PARLÉ…
- Recension sur “L’Afrique noire : un rêve français”
Recension rédigée par Patrick Forestier de l’Académie des Sciences d’Outre-mer.
Retrouvez l’article original ici.Enarque, ancien député PS, professeur de géopolitique et de géographie urbaine à l’École normale supérieure, Philippe San Marco retrace la période coloniale française en Afrique en suivant le parcours de son grand-père maternel, Paul Vazeilles, fonctionnaire colonial pendant trente-deux ans dans quatre territoires de l’ex Afrique occidentale française.
De 1909 à 1941, il occupe quinze postes en brousse, gravissant les échelons, de commis de 4e classe des affaires indigènes jusqu’à commandant de cercle. Philippe San Marco nous rappelle les longs voyages dangereux que son ancêtre devait effectuer au début du siècle dernier pour rejoindre, à 2500 kms de Dakar, son poste de Fada N’Gourma, à la limite du « territoire militaire de Zinder », à cette époque contrôlée seulement par l’armée, et qui deviendra plus tard le Niger. Ces récits décrivent les antagonismes traditionnels entre roitelets et empires de cette vaste région qui se faisaient déjà la guerre. « Une histoire qu’il fallait mieux connaître » souligne l’auteur. Le prédécesseur de Vazeilles, l’administrateur Maubert, 23ans, avait reconstitué le royaume de Gourma depuis ses origines jusqu’au XIe siècle. Des rivalités entre peuples, nomades ou non, qui sont toujours présentes aujourd’hui dans la guerre qui oppose les groupes islamistes armées au pouvoir central, et aux forces françaises, impliquées dans le conflit au Mali avant leur retrait. Si l’islam politique apparait souvent pour les djihadistes comme un prétexte dans le conflit qu’ils mènent aujourd’hui aux « trois frontières », celles du Burkina Faso, du Niger et du Mali, le récit de Philippe San Marco rappelle qu’il y a un siècle son grand- père avait affaire à des troubles similaires.
Son ouvrage, L’Afrique noire, un rêve français, ne présente pas toutefois un récit seulement linéaire des péripéties de son aïeul, qui donnent des informations de terrain ponctuées d’anecdotes sur les débordements des représentants de la France aux colonies. Leurs agissements relatés par la presse provoquaient des débats houleux, et parfois leur rappel à Paris. L’auteur relate la mission d’inspection confiée à l’officier explorateur Savorgnan de Brazza, opposée à la violence. Révolté par tant de cruauté lors de son retour au Congo, Savorgnan de Brazza écrira un rapport, qui fut mis sous le boisseau, dénonçant les intérêts privés à l’origine de ses graves manquements.
Pour aller davantage au fond, Philippe San Marco remet dans son contexte son récit. Il rappelle que c’est d’abord par gout de l’aventure, par curiosité, par spiritualité parfois à l’image du moine-soldat Charles de Foucault, que de jeunes officiers, lassés par la monotonie de la vie de caserne après la débâcle contre la Prusse partaient vers l’inconnu. Les grandes thématiques historiques ayant trait à la colonisation sont posées : éducation pour former des élites, travaux publics, corvées pour transporter des marchandises jusqu’à la côte Atlantique, sécurité pour empêcher les rezzous des tribus musulmanes afin de capturer des esclaves animistes et les emmener vers l’Océan Indien pour les vendre, santé et médecine, dont les populations ont bénéficié. Au début, ce n’était pas le cas, y compris chez les Européens.
En 1878, la fièvre jaune en avait emporté 685 sur les 1300 qui vivaient au Sénégal. 22 des 28 médecins et pharmaciens militaires en moururent. Philippe San Marco raconte sans tabou cette période controversée. « Soixante ans après l’indépendances de nos colonies africaines, l’histoire de celles-ci nous revient en forme de boomerang accusateur écrit-il. Non seulement la France devrait s’excuser de ce qu’elle y a fait dans le passé, mais elle devrait aujourd’hui cesser de « piller » ces pays au sein desquels elle poursuivrait une politique néocoloniale. Des pays dont le sous-développement persistant, la misère épouvantable et la corruption endémique ne seraient que des conséquences de l’ancienne colonisation » ajoute l’auteur qui s’alarme de l’écho que trouvent ces idées chez les jeunes des diverses migrations africaines. « Cela favorise chez eux des attitudes de repli… et des revendications identitaires minoritaires. » Il conclut sa démonstration en remarquant que « l‘assimilation et l’intégration sont désormais rejetées comme autant d’outils d’aliénation… »
- Colonisation : les quatre vérités de Philippe San Marco, par José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional
Par José D’Arrigo – Rédacteur en chef du Méridional
« Je suis socialiste et je suis Marseillais, mais je ne suis pas un socialiste marseillais », m’a confié en souriant Jean-Paul Giraud lorsqu’il a été nommé chef de cabinet d’Eugène Caselli à Marseille- Provence-Métropole en janvier 2011. Lui qui a fait toute sa carrière politique au conseil municipal de Grenoble et au conseil général de l’Isère ne voulait à aucun prix qu’on pût le confondre avec les magouilles et autres embrouilles de ses homologues marseillais. Lorsque le lieutenant-colonel Lianos, président de l’association nationale des anciens combattants de la Légion Etrangère, a eu la bonne idée d’inviter l’ancien député socialiste marseillais Philippe San Marco, ex-premier adjoint de Gaston Defferre à la mairie de Marseille, pour une visioconférence de présentation de son dernier livre intitulé : « L’Afrique noire : un rêve français », j’ai tout de suite pensé à la confidence de Jean-Paul Giraud en me disant que M. San Marco, lui aussi, aurait pu me faire la même remarque.
Il fait incontestablement partie de ces hommes dont la grandeur d’âme et la conception de l’intérêt public ne pouvaient pas accepter ce qu’il était de bon ton d’appeler les « coutumes politiques locales », c’est-à-dire les petits arrangements entre amis au préjudice de la collectivité. Voilà pourquoi M. San Marco n’a jamais été maire de Marseille alors qu’il en avait largement l’étoffe et qu’il a été évincé de la politique locale pour avoir traqué les malfaisants qui gravitaient dans l’entourage de Gaston Defferre.
Son livre sur l’histoire de la colonisation française à travers le périple de son grand-père Paul Vazeilles, qui a fait toute sa carrière de fonctionnaire en Afrique noire, est d’un intérêt majeur car il est fondé sur des faits et non sur une prévention anti ou pro-colonialiste. Il replace les choses dans leur contexte de l’époque, un temps où les plus hautes autorités de l’Etat pouvaient parler des « indigènes », des « sauvages », des « primitifs », des « grands enfants », des « nègres », des « peuples arriérés », sans risquer d’être traduits en correctionnelle pour diffamation ou xénophobie. Et surtout, il révèle des vérités qui tordent le cou à des fables répandues aujourd’hui pour mieux victimiser la population issue de l’immigration africaine de nos banlieues et les encourager à la sécession. D’emblée, il affirme en effet que l’expansion coloniale française n’est pas liée au « pillage de l’Afrique » mais à une politique de prestige susceptible de faire oublier la cuisante défaite de 1870.
Cette blessure d’orgueil ressentie comme une humiliation nationale peut être comparée aujourd’hui à celle de la Russie qui n’a cessé d’être poussée dans ses retranchements par les forces occidentales depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la dislocation de l’union des républiques socialistes soviétiques qui s’est ensuivie en 1991. Comme dit le proverbe : « qui sème l’humiliation récolte la haine »…
Seconde vérité rappelée par Philippe San Marco : les Français de métropole se sont toujours désintéressés de l’Afrique en considérant qu’elle était davantage une charge qu’une aubaine. Et ils n’avaient pas tort. Dans ses colonies la France a construit 220 hôpitaux où les soins étaient gratuits, 18 000 km de voies ferrées, 63 ports, 96 aérodromes, des centaines de barrages, de ponts, de centrales électriques, d’écoles, de dispensaires, de maternités, de conduites d’eau, de fermes, etc. Le tout payé par les Français de métropole…sans la moindre compensation. Cette œuvre gigantesque de « mise en valeur » de territoires vierges n’est jamais mise en exergue mais elle bien réelle.
La colonisation, présentée aujourd’hui comme une abomination absolue, relève davantage de la mission civilisatrice de la France que de la cupidité économique. La France n’avait rien à gagner en Afrique puisqu’elle pouvait par exemple se procurer du sucre à meilleur prix ailleurs ou par la culture intensive dans l’hexagone de la betterave sucrière. Les matières premières telles que le charbon, le coton, la laine et la soie, dont la France avait besoin, étaient absents de l’Afrique subsaharienne. Répéter à satiété aujourd’hui que la France a colonisé de larges pans de l’Afrique occidentale et équatoriale pour « avoir des débouchés », c’est archifaux. Comment aurait-elle pu vendre des produits français à des pays sans monnaie ?
Il est vrai que certains gouverneurs des colonies ont manifesté souvent une certaine « condescendance » vis-à-vis des populations locales, tant et si bien que les Français pouvaient être taxés de paternalisme. Mais cette morgue relative n’avait rien à voir avec les razzias, les pillages et les massacres perpétrés par les chefs musulmans descendant des Almoravides qui méprisaient trop les peuples noirs pour rechercher autre chose que du butin et des esclaves qu’ils émasculaient systématiquement pour éviter qu’ils ne se reproduisent.
Il s’agit là d’une troisième vérité, volontairement ignorée par nos idéologues gauchistes friands de repentance et d’excuses publiques : les populations africaines pratiquaient l’esclavage domestique sur leurs congénères bien avant les traites transatlantique et subsaharienne. « Il est contraire à la vérité historique de penser que les Européens sont venus razzier les captifs dans les villages sans la participation de certains segments des sociétés africaines », écrit San Marco page 135.
Ce sont bel et bien les Arabo-musulmans qui ont mis en esclavage l’Afrique subsaharienne sans discontinuer du VIIe au XXe siècle et n’ont jamais officiellement proclamé la fin de ces razzias humaines, faisant au bas mot dix-sept millions de victimes. Et les Français n’étaient pour rien dans ces atrocités. Ils ne plaisantaient pas non plus sur l’octroi de la nationalité française qu’on accorde aujourd’hui à tous les migrants sans distinction. Le code civil ne reconnaissait pas le « droit à la différence » revendiqué aujourd’hui par de nombreuses communautés qui se refusent à toute intégration : « nul ne peut être naturalisé français s’il ne justifie pas de son assimilation à la communauté française », stipulait le texte de loi.
Il est donc temps de sortir des caricatures et d’assumer notre histoire coloniale. Les Français « malgré eux » ne parvenaient pas à la citoyenneté française, non pas en raison de leur couleur de peau ou de leur religion, mais de leurs mœurs (polygamie, anthropophagie, excision, mépris de la femme, charia), de leurs comportements, de leurs coutumes et de leurs tenues vestimentaires. C’est ainsi que pour l’inspecteur général Meray, « aux yeux du fervent musulman, le Français sera toujours un roumi dont Dieu lui commande de s’écarter avec mépris ». Une affirmation qui ferait bondir un certain apôtre de la « créolisation ».
On ne peut pas juger le passé colonial à l’aune de nos valeurs actuelles. La meilleure manière de détruire un pays est d’en effacer l’histoire. Plaquer sur les avatars de la colonisation notre conception actuelle des droits de l’homme et du citoyen est une hérésie. Croire également que les pays dessinés par les occupants ont une valeur pour les populations locales est totalement faux. Les frontières héritées de la colonisation ont été taillées à la serpe par les Français, les Allemands, les Turcs ou les Britanniques, sans le moindre égard pour les tribus et les peuplades qui, elles, ne peuvent être scindées ou dissociées. Les lignes arbitraires tracées par les colons ne correspondent pas à une lente maturation historique mais à une volonté d’expansion et de puissance territoriale.
L’assimilation morale et matérielle à notre civilisation reposait entièrement sur la langue française, propagée par les missionnaires, et sur l’instruction publique que les militaires ont su inculquer aux populations locales. Philippe San Marco insiste aussi sur les bienfaits immenses de la médecine coloniale qui a permis de sauver des milliers et des milliers de vies africaines.
Philippe San Marco, au terme d’explications lumineuses, a permis aux ouailles du lieutenant-colonel Constantin Lianos de se faire leur propre opinion sur la colonisation française. Nous ne saurions trop leur conseiller de lire cet ouvrage qui résulte d’investigations minutieuses dans une cinquantaine de livres et d’archives d’outremer, lorsqu’elles ne sont pas censurées. Cette réflexion objective sur le « rêve français » devrait passer à la postérité et être étudié dans les écoles pour en finir avec la doxa culpabilisatrice et avec les slogans ravageurs.
- Christiane Peyronnard (La Cliothèque) parle de “L’Afrique noire, un rêve français”