Recension rédigée par Patrick Forestier de l’Académie des Sciences d’Outre-mer.
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Enarque, ancien député PS, professeur de géopolitique et de géographie urbaine à l’École normale supérieure, Philippe San Marco retrace la période coloniale française en Afrique en suivant le parcours de son grand-père maternel, Paul Vazeilles, fonctionnaire colonial pendant trente-deux ans dans quatre territoires de l’ex Afrique occidentale française.
De 1909 à 1941, il occupe quinze postes en brousse, gravissant les échelons, de commis de 4e classe des affaires indigènes jusqu’à commandant de cercle. Philippe San Marco nous rappelle les longs voyages dangereux que son ancêtre devait effectuer au début du siècle dernier pour rejoindre, à 2500 kms de Dakar, son poste de Fada N’Gourma, à la limite du « territoire militaire de Zinder », à cette époque contrôlée seulement par l’armée, et qui deviendra plus tard le Niger. Ces récits décrivent les antagonismes traditionnels entre roitelets et empires de cette vaste région qui se faisaient déjà la guerre. « Une histoire qu’il fallait mieux connaître » souligne l’auteur. Le prédécesseur de Vazeilles, l’administrateur Maubert, 23ans, avait reconstitué le royaume de Gourma depuis ses origines jusqu’au XIe siècle. Des rivalités entre peuples, nomades ou non, qui sont toujours présentes aujourd’hui dans la guerre qui oppose les groupes islamistes armées au pouvoir central, et aux forces françaises, impliquées dans le conflit au Mali avant leur retrait. Si l’islam politique apparait souvent pour les djihadistes comme un prétexte dans le conflit qu’ils mènent aujourd’hui aux « trois frontières », celles du Burkina Faso, du Niger et du Mali, le récit de Philippe San Marco rappelle qu’il y a un siècle son grand- père avait affaire à des troubles similaires.
Son ouvrage, L’Afrique noire, un rêve français, ne présente pas toutefois un récit seulement linéaire des péripéties de son aïeul, qui donnent des informations de terrain ponctuées d’anecdotes sur les débordements des représentants de la France aux colonies. Leurs agissements relatés par la presse provoquaient des débats houleux, et parfois leur rappel à Paris. L’auteur relate la mission d’inspection confiée à l’officier explorateur Savorgnan de Brazza, opposée à la violence. Révolté par tant de cruauté lors de son retour au Congo, Savorgnan de Brazza écrira un rapport, qui fut mis sous le boisseau, dénonçant les intérêts privés à l’origine de ses graves manquements.
Pour aller davantage au fond, Philippe San Marco remet dans son contexte son récit. Il rappelle que c’est d’abord par gout de l’aventure, par curiosité, par spiritualité parfois à l’image du moine-soldat Charles de Foucault, que de jeunes officiers, lassés par la monotonie de la vie de caserne après la débâcle contre la Prusse partaient vers l’inconnu. Les grandes thématiques historiques ayant trait à la colonisation sont posées : éducation pour former des élites, travaux publics, corvées pour transporter des marchandises jusqu’à la côte Atlantique, sécurité pour empêcher les rezzous des tribus musulmanes afin de capturer des esclaves animistes et les emmener vers l’Océan Indien pour les vendre, santé et médecine, dont les populations ont bénéficié. Au début, ce n’était pas le cas, y compris chez les Européens.
En 1878, la fièvre jaune en avait emporté 685 sur les 1300 qui vivaient au Sénégal. 22 des 28 médecins et pharmaciens militaires en moururent. Philippe San Marco raconte sans tabou cette période controversée. « Soixante ans après l’indépendances de nos colonies africaines, l’histoire de celles-ci nous revient en forme de boomerang accusateur écrit-il. Non seulement la France devrait s’excuser de ce qu’elle y a fait dans le passé, mais elle devrait aujourd’hui cesser de « piller » ces pays au sein desquels elle poursuivrait une politique néocoloniale. Des pays dont le sous-développement persistant, la misère épouvantable et la corruption endémique ne seraient que des conséquences de l’ancienne colonisation » ajoute l’auteur qui s’alarme de l’écho que trouvent ces idées chez les jeunes des diverses migrations africaines. « Cela favorise chez eux des attitudes de repli… et des revendications identitaires minoritaires. » Il conclut sa démonstration en remarquant que « l‘assimilation et l’intégration sont désormais rejetées comme autant d’outils d’aliénation… »